Né à Orbe, Viret fut l’un des membres du trio de merveilleux amis qui se complétaient parfaitement et que l’on surnommait le Trépied: Calvin, la science du théologien, Farel, le tonnerre du tribun populaire, lui étant la douceur de la persuasion débonnaire.
Il était le fils d’un couturier et «retondeur» de drap assez aisé pour l’envoyer étudier à Paris, au collège Montaigu, que fréquentèrent Erasme, Calvin et Loyola notamment. Destiné à la prêtrise, il s’ouvre non seulement à la rhétorique que lui enseignent ses maîtres, mais aussi à tout ce que son esprit curieux découvre à l’école des Anciens. C’est ainsi, parmi nombre d’ouvrages lus avec passion, qu’il pousse plus avant sa connaissance de l’Evangile, semée en lui à Orbe déjà, par son maître d’école, Marc Romain, et qu’un de ses camarades d’étude, Antoine Saunier, partage assidûment. Or ce dernier, pour avoir correspondu avec Farel, est brusquement arrêté. Dans les papiers trouvés chez lui, figure le nom de Pierre Viret. Paris n’est donc plus sûr pour lui et il décide de rentrer à Orbe. On est au printemps 1530.
Dans sa ville natale, où Berne et Fribourg exercent conjointement les droits de souveraineté, les idées de la Réforme provoquent des troubles. L’accueil que leur réserve presque toute la population, hormis quelques notables, est plutôt frais.
Le jour des Rameaux 1531, alors que Farel prêche en chaire, un grand tumulte l’empêche de se faire entendre, et le lendemain, un groupe de femmes en furie l’insultent et le frappent. Farel n’en a cure, ce genre de manifestation est coutumier pour lui. L’important est que, la veille, il a remarqué dans l’assemblée deux jeunes gens captivés par sa parole. L’un d’eux est Pierre Viret, à qui il confie l’oeuvre commencée car sollicité par d’autres tâches. Le timide étudiant s’effare, il doute de sa capacité à mener à bien cette mission, mais Farel ne tient pas compte de ses hésitations. Il sent monter en ce jeune frère une véritable vocation, il le laisse donc seul et quitte la place.
Pierre Viret prêche son premier sermon le 6 mai 1531. Il sait, en douceur, imposer le respect. Sa voix harmonieuse convainc. Le nombre des fidèles grandit et il a la joie de compter parmi eux son père et sa mère. Appelés par celui qui est leur compatriote, les gens de la petite ville se rassemblent autour de la Parole vivante. La communauté s’affermit et lorsque Viret s’en va porter l’Evangile à Payerne, succédant à Antoine Saunier, il constate avec fierté qu’elle a triplé, son ministère n’a pas été vain.
A Payerne, la lutte est vive, car les moines de l’abbaye organisent une opposition résolue. Ils sont prêts à tout pour qu’il quitte la place. On interdit les églises à Viret qui est contraint de prêcher dans les maisons et les tavernes. Un jour, un prêtre le guette hors des murs de la ville, l’agresse par derrière et le blesse grièvement d’un coup d’épée.
A peine remis de ses blessures, il accompagne Farel qui se rend à Genève avec une ambassade bernoise. Des affrontements se déchaînent, au cours desquels le projet d’empoisonner les réformateurs prend corps. Soudoyée par des prêtres, une servante accepte de servir un plat qui doit leur être fatal. Mais seul Viret en mange et tombe gravement malade. Il échappera à la mort mais gardera toute sa vie une santé fragile.
A Orbe, à Payerne, à Neuchâtel, à Lausanne, où il restera vingt-deux ans, Viret se montre un orateur persuasif. Si persuasif que ses ennemis redoublent de violence pour le chasser. De plus, l’Eglise de Lausanne est tourmentée par d’interminables controverses et peine à trouver un équilibre. Il ne parvient pas à constituer une communauté à la foi vivante. Il travaille jusqu’à la limite de ses forces, entre en conflit avec les autorités car, comme Calvin, il souhaite une plus grande autonomie de l’Eglise par rapport au gouvernement. Finalement il est destitué et banni.
Pour la troisième fois il prend du service à Genève. Là, il est respecté et choyé par les autorités, écouté avec ferveur. Avec Calvin, il est nommé citoyen de la ville. Lorsqu’il tombe gravement malade, on veille à ce qu’aucun vacarme dans sa rue ne vienne troubler son repos, on le confie aux meilleurs médecins. Ces derniers lui prescrivent un climat plus doux, il part donc pour le Midi de la France A l’automne 1561, à Nîmes, il se sent si faible que les nombreux fidèles qui assistent à ses prêches se demandent s’il n’est pas venu chez eux pour mourir. Il est soigné avec succès à la célèbre faculté de médecine de Montpellier. Dans une épître adressée aux fidèles de cette ville, il écrit, après avoir loué Dieu pour la science qu’il a donnée aux médecins : «Vous avez encore à reconnaître Sa bénédiction en ce qu’Il vous a envoyé de bons et fidèles pasteurs pour vous annoncer purement Jésus-Christ et pour conjoindre la médecine spirituelle et la médecine corporelle (…)»
La guerre civile sévit en France après le massacre des protestants à Wassy. Viret relève que nombreux sont ceux qui prétextent les discordes religieuses pour rejeter toute religion et cite les déistes qui, tout en croyant en un Dieu créateur, ne savent que faire de Jésus-Christ. Appelé à Lyon, qui a été occupée par les huguenots, il s’émeut du spectacle de la guerre, sauve de la pendaison un père jésuite qui, plus tard, complotera pour le faire chasser de la ville assiégée par le duc de Nemours.
En 1563, il a fait ses adieux à Genève et a emmené sa famille avec lui. Il se rend en Dauphiné, puis a Orange, enfin dans le Béarn, à Pau, où il a répondu à l’appel de Jeanne d’Albret, reine de Navarre. Il y préside les synodes, consolide l’organisation de l’Eglise, encourage la traduction des Psaumes en béarnais et celle du Nouveau Testament en basque. Quand éclate une nouvelle guerre civile, la souveraine se réfugie à La Rochelle, Viret reste à Pau, qui est assiégé et pris. Le catholicisme est restauré, les prédicants sont poursuivis, massacrés, mais Viret est traité en otage de marque.
Bientôt le royaume est repris par le comte de Montgomery envoyé par Jeanne d’Albret, et Viret peut célébrer un service d’actions de grâces. Un frisson d’espérance traverse le camp des réformés, le Béarn respire, mais pour combien de temps? Un demi-siècle. Viret le pacifique ne le sait pas, il s’éteindra au printemps 1571, affligé par son constat que nombre de ses concitoyens «sont heureux d’être délivrés du joug de l’Antichrist mais ne veulent pas porter celui de Jésus-Christ, attendant qu’on leur prêche un Evangile sans repentance et sans amendement de vie». N’en est-il pas de même aujourd’hui encore?
Auteur: René Neuenschwander
Paru dans Bible-Info , été 2006