La Bible Française : une traduction … mais de quel texte ?
Est-il nécessaire de rappeler que nous ne possédons aucun manuscrit autographe* du texte biblique ?
Les textes de l’Antiquité qui nous sont parvenus nous ont été transmis grâce au travail de nombreux copistes. Le papyrus ou le parchemin, sur lesquels on écrivait, se détérioraient, et il fallait les remplacer. Nous n’avons donc que des copies, qui divergent parfois entre elles: elles portent des leçons** différentes pour certains passages, et l’on parle alors de variantes entre les manuscrits.
* Manuscrit autographe : un manuscrit écrit de la main même de l’auteur ou de celle de son secrétaire
** Leçons : des propositions de texte
La critique textuelle
La critique textuelle ou «basse critique», qui s’attache à la transmission du texte biblique, vise à reconstituer le texte le plus proche possible de l’original en comparant les manuscrits les uns aux autres.
Les spécialistes ne sont pas tous d’accord sur les critères à adopter pour retenir telle leçon plutôt qu’une autre. En effet, il est souvent difficile de déterminer dans quel sens l’erreur s’est produite. Certains privilégient le manuscrit le plus ancien, ou celui dont la copie semble la mieux soignée. D’autres intègrent de façon quasi systématique la lectio difficilior, c’est-à-dire la version la plus difficile du texte, partant du présupposé qu’un copiste aura tendance à vouloir clarifier, simplifier ou harmoniser un texte, plutôt qu’à le compliquer délibérément. Ces différences d’appréciation et de méthode expliquent quelques-unes des différences entre les diverses traductions de la Bible.
Est-il grave d’avoir des textes bibliques différents? En fait, même si nous disposions du manuscrit autographe, original, il serait prétentieux de penser que l’on détient de façon absolument certaine l’interprétation parfaite de ce texte… Quoi qu’il en soit, les propos de Jésus en Matthieu 5.18 autorisent les chrétiens à penser que leur Seigneur n’a pas permis qu’une leçon originale disparaisse de la tradition manuscrite. Il n’a pas permis non plus qu’une doctrine biblique se trouve supprimée ni même remise en cause par les variantes.
Les textes de base de l’Ancien Testament
Nous disposons de nombreux témoins du texte de l’Ancien Testament, aussi bien en hébreu qu’en grec ou dans d’autres langues. En effet, l’AT a été rédigé en hébreu (avec quelques passages en araméen) puis traduit en grec et dans d’autres langues. Parmi ces divers témoins, deux groupes se détachent nettement: les manuscrits qui portent le texte massorétique, en hébreu, et ceux qui portent le texte de la Septante, sa traduction grecque.
Les traductions modernes de l’Ancien Testament sont en règle générale basées sur le texte massorétique. La maison d’édition Le Cerf est en train d’éditer une traduction française de la Septante.
Le texte massorétique
Dès l’an 500 apr. J.-C. et jusque vers l’an 1000 environ, des écoles de scribes apparaissent: celles des massorètes. Leur contribution la plus importante a certainement été l’introduction d’une ponctuation et de points-voyelles fixant la prononciation du texte. La division du texte en versets leur est antérieure (3e siècle av. J.-C.), tandis que la division en chapitres a été introduite sur la Vulgate au 13e siècle. Des trois systèmes principaux de vocalisation (tibérien, palestinien, babylonien), c’est le système tibérien (famille Ben-Asher) qui s’est progressivement imposé et a été suivi dans les éditions imprimées. La valeur de ce texte hébreu traditionnel, dit massorétique, a été confirmée par la découverte des manuscrits de la mer Morte, mille ans plus anciens.
Le seul manuscrit hébreu complet que nous possédions est le Codex Leningradensis, daté de 1008 et qui est reproduit dans la Biblia Hebraica Stuttgartensia (BHS), mais les témoins hébreux du texte biblique sont au nombre d’environ 3000. La Biblia Hebraica de Kittel (qu’a remplacée la BHS) reproduisait dans ses deux premières éditions le texte de la Bible rabbinique de Venise, éditée par Jacob-ben-Hayyim en 1524-1525.
Le texte massorétique est suivi dans les versions que sont les Targums (araméen, avec parfois des développements explicatifs) et la Vulgate (latin, 8000 manuscrits), et la Peshitta (syriaque) s’en rapproche.
Les textes de Qumrân
Les manuscrits de la mer Morte ont été découverts en 1947 dans des grottes proches des ruines de Qumrân et dans d’autres sites du Désert de Juda. Des fragments de tous les livres bibliques, sauf Esther, ont été retrouvés. Ecrits près d’un millénaire avant les grands codex du texte massorétique, soit entre la fin du 3e siècle av. J.-C. et le 1er siècle apr. J.-C., ils confirment sa fiabilité. Cependant, ils témoignent d’une plus grande liberté de copie (orthographe) qu’à l’époque des massorètes et ils appuient parfois d’autres témoins du texte, notamment le Pentateuque samaritain et la Septante. Deux exemples:
- A la fin d’Esaïe 9.19 , le texte massorétique dit: «Chacun mange la chair de son bras.» C’est aussi le texte que portent une partie des manuscrits de la version grecque des Septante et la Vulgate. Un manuscrit de la Septante porte «frère» à la place de «bras»; le targum et la version grecque de Symmaque portent «prochain». Une légère modification du texte massorétique (mêmes consonnes mais autres voyelles) permet, par pure conjecture, de lire «semence» (c’est-à-dire les enfants ou descendants).
Les diverses possibilités évoquées ici se reflètent dans les traductions françaises; ainsi, la Bible en français courant et Parole de vie adoptent la traduction «prochain», tandis que la Bible du Semeur parle d’«enfants», suivant la conjecture «semence». Une version comme la Segond 21 garde le texte «bras» que deux manuscrits de Qumrân appuient. - Au début d’Esaïe 53.11 , le texte massorétique porte «il verra» sans complément à ce verbe; la version grecque des Septante ajoute «la lumière». Les manuscrits de Qumrân portent «il verra la lumière» et confirment que la présence de ce mot dans le texte biblique est ancienne.
On a découvert aussi en 1890 des dizaines de milliers d’autres textes fragmentaires ailleurs, notamment les fragments de la geniza (lieu d’entrepôt de manuscrits hors d’usage) du Caire, datés d’entre le 5e et le 8e siècle apr. J.-C.
Le Pentateuque samaritain
Le texte du Pentateuque a été recopié par les Samaritains à part des Juifs, mais les spécialistes ne s’entendent pas sur la date de séparation. Quelques rares modifications du texte sont imputables aux convictions particulières des Samaritains, la plupart des variantes pourraient renvoyer à une forme de texte ancienne. Le plus ancien manuscrit: probablement celui de Cambridge (début 12e siècle). Il existe un targum samaritain, traduction araméenne du Pentateuque samaritain.
La Septante
Réalisée par les Juifs dès le 3e siècle av. J.-C., la version grecque des Septante a ensuite été recopiée par les chrétiens. On la trouve en particulier dans les codex Sinaïticus, Vaticanus et Alexandrinus (qui portent aussi le texte du Nouveau Testament).
C’est une traduction très littérale pour le Pentateuque, beaucoup plus libre pour les livres sapientiaux (c’est-à-dire de sagesse). Parmi les grosses différences d’avec le texte massorétique, il faut signaler:
- le regroupement des Psaumes 9 et 10, ainsi que 114 et 115, en un seul, alors que les Psaumes 116 et 147 sont au contraire divisés en deux (d’où certaines différences de numérotation dans les Psaumes);
- la place différente de certains chapitres et sections de chapitres dans le livre de Jérémie (ch. 25 à 51);
- la place différente de certains chapitres et sections de chapitres dans les Proverbes (ch. 24.23-31.9);
- l’introduction de livres écrits directement en grec et appelés «apocryphes» par les protestants, «deutérocanoniques» par les catholiques.
Des traductions ont été effectuées à partir de la Septante: les vieilles versions latines (subsistent à l’état de fragments), les versions coptes, éthiopienne, arménienne, arabe.
Les textes de base pour le Nouveau Testament
La plus ancienne copie du Nouveau Testament connue, de l’avis unanime des spécialistes, porte le nom de P52, il s’agit d’un papyrus datant d’environ 125 apr. J.-C. et contenant uniquement Jean 18.31-33 , 37-38 . Il est donc postérieur d’une cinquantaine d’années au maximum à l’original. Il reste au total plus de 5000 manuscrits portant tout ou partie du NT grec (leur contenu varie de 2 versets au NT complet) et dont les dates de rédaction s’échelonnent du 2e au 16e siècle. Ils proviennent de tout le bassin méditerranéen.
Texte majoritaire et Textus Receptus
Parmi les manuscrits grecs du NT, 85% environ appartiennent à un grand ensemble appelé «texte majoritaire» ou «byzantin» et sont à dater à partir du 5e siècle. Au 15e siècle, de nombreux manuscrits grecs anciens appartenant à des Eglises du Proche-Orient ont été introduits en Europe, où ils ont été étudiés. C’était l’époque de la Renaissance et du retour aux sources; on assistait à un regain d’intérêt pour le grec ancien.
La première édition du texte grec du Nouveau Testament sous forme imprimée a été celle d’Erasme, en 1516 à Bâle, édition bilingue grecque-latine. L’imprimeur Froben avait prié l’humaniste de mettre à sa disposition le texte grec du Nouveau Testament. En effet, à la bibliothèque de Bâle se trouvaient quelques manuscrits grecs relativement récents de type byzantin. Ils étaient lacunaires et Erasme s’est contenté, puisque les 6 derniers versets de l’Apocalypse manquaient, de noter leur traduction en grec réalisée à partir de la Vulgate. Froben le poussait à faire vite car il voulait devancer le cardinal espagnol Ximénès (déjà la pression de la concurrence…).
Le Nouveau Testament d’Erasme contenait des erreurs liées à la rapidité avec laquelle le travail avait été accompli. Il a donc subi diverses révisions et a été réédité à plusieurs reprises. On y a introduit en particulier quelques modifications tirées de la Polyglotte de Complutum, œuvre de Ximénès comprenant le texte biblique en hébreu, araméen, grec et latin, publiée en 1522 à Alcala (Espagne).
Parmi les éditions célèbres du Nouveau Testament d’Erasme, signalons:
- l’édition de 1519, sur laquelle le réformateur Martin Luther s’est basé pour sa traduction en allemand;
- les éditions de 1550 et 1551 de l’imprimeur parisien Robert Estienne: celle de 1550 est la première à contenir des indications marginales relevant les principales variantes, celle de 1551 la première à contenir la division du texte par versets (la division en chapitres date, elle, du début du 13e siècle et est l’œuvre d’Etienne Langton, archevêque de Cantorbéry);
- l’édition de 1598 de Théodore de Bèze, qui porte dans les marges des remarques du successeur de Calvin relatives aux différences textuelles et a servi de base, avec les éditions de Robert Estienne, à la célèbre English Authorised Version (ou King James Version) parue en 1611;
- l’édition de 1633 des frères Elzévir, dont la préface donnera naissance à l’appellation commune de Textus Receptus («Textum ergo habes, nunc ab omnibus receptum», c.-à-d. «Tu as donc le texte maintenant reçu par tous»).
Sans cesse réimprimé durant trois siècles, le texte reçu du NT grec a servi de base à de nombreuses traductions, dont en français celle de Jean-Frédéric Ostervald (1744).
A la fin du 20e siècle, un travail de critique textuelle a été effectué par Hodges & Farstad et a permis l’édition d’une version imprimée du NT qui tient compte des leçons de l’ensemble des manuscrits majoritaires, et non de quelques-uns seulement comme le texte d’Erasme. Ce texte grec appelé «texte majoritaire» diffère donc en plusieurs passages du Textus Receptus.
Quelques exemples:
Actes 3.20
Texte reçu: «Celui qui vous a été proclamé d’avance.»
Texte majoritaire: «Celui qui vous a été destiné.»
Actes 9.5-6
Texte reçu: «Et le Seigneur dit: Je suis Jésus que tu persécutes. Il te serait dur de regimber contre tes aiguillons. Tremblant et saisi d’effroi, il dit: Seigneur, que veux-tu que je fasse? Et le Seigneur lui dit: Lève-toi, entre dans la ville.»
Texte majoritaire: «Et le Seigneur dit: Je suis Jésus que tu persécutes. Mais lève-toi, entre dans la ville.»
1 Jean 5.7-8 (variante trinitaire)
Texte reçu: «Car il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel: le Père, la Parole et le Saint-Esprit et les trois sont un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre: l’Esprit, l’eau et le sang, et les trois sont d’accord.»
Texte majoritaire: «Car il y en a trois qui rendent témoignage: l’Esprit, l’eau et le sang, et les trois sont d’accord.»
Les manuscrits alexandrins
Jusqu’au 19e siècle, les textes grecs utilisés par les traducteurs de la Bible étaient pratiquement uniformes puisqu’ils étaient basés sur des manuscrits s’accordant en bien des points. Par conséquent, rares étaient les questions soulevées sur la conformité des textes courants avec les autographes, les originaux rédigés par les évangélistes et les apôtres (ou leurs secrétaires)
Au 19e siècle, la découverte de manuscrits du NT plus anciens en Egypte (codex Sinaïticus et codex Vaticanus), d’où l’appellation de «manuscrits alexandrins», et le travail de Tischendorf sur ces manuscrits, qui a fait augmenter le nombre de variantes connues, ont amené certains spécialistes à modifier leur manière d’évaluer le texte grec. Etant donné leur ancienneté, beaucoup les ont considérés comme des copies plus fiables des manuscrits autographes et comme possédant, de ce fait, une autorité supérieure aux copies plus récentes sur lesquelles le texte reçu était basé. Cette découverte les a amenés à réfléchir à la façon de déterminer quels textes étaient les originaux et lesquels avaient subi des altérations.
Les débuts de la polémique
Le nouveau matériel découvert n’a eu une grande influence qu’à partir du moment où il a été lié à une nouvelle théorie de l’histoire des textes. Celle-ci a été l’œuvre de Fenton John Anthony Hort et Broke Foss Wescott (œuvre en deux volumes publiée en 1881, The New Testament in the Original Greek).
C’est surtout Hort qui est à l’origine de cette théorie. Son point de départ était que le NT devait être traité comme n’importe quel autre livre et qu’il n’y avait pas eu de falsification délibérée des textes pour des motifs dogmatiques. Pour lui, les relations généalogiques entre les manuscrits avaient une importance capitale, et une donnée fournie par un texte-type devait être évaluée en fonction de la fréquence avec laquelle ce texte-type se révèle juste. Ainsi, un texte-type connu pour être très souvent juste devrait faire davantage autorité qu’un texte réputé moins sûr. La constitution d’une généalogie des manuscrits permettait d’affirmer qu’une majorité de manuscrits n’était pas forcément plus correcte qu’une minorité (plusieurs peuvent dépendre d’un même modèle). Hort a déterminé quatre familles: le texte neutre (l’appellation a ensuite été abandonnée car trop partiale; il s’agissait d’un texte reposant essentiellement sur le codex Vaticanus et le codex Sinaïticus), alexandrin, occidental, syrien (appelé plus tard byzantin).
La fluidité et le caractère complet du texte syrien (byzantin) incitaient à croire qu’il était récent, avait été «revu», et qu’il était par conséquent corrompu. Hort a développé plusieurs arguments pour souligner sa postériorité par rapport aux autres textes.
- Le phénomène de fusion («conflation»): un texte combine les leçons de deux documents en un tout composé, parfois avec l’ajout d’une conjonction, et en fusionnant plus ou moins ces leçons. Un texte contenant des leçons combinées doit être ultérieur aux textes contenant les divers composants à partir desquels la fusion a été faite. Hort affirme qu’il n’y a pas d’inversion de la relation entre les textes: le syrien ne peut jamais être un des composants de la combinaison, il ne peut qu’en être le résultat.
- Chrysostome, mort en 407, est le premier père de l’Eglise à présenter des traces de recours aux leçons du texte syrien. Cela signifie que, jusque vers 350, c’étaient les textes neutre et occidental qui étaient utilisés.
- Le texte syrien ne correspond pas aux critères de critique textuelle conduisant à préférer, entre deux leçons, la plus courte et la plus difficile. Le texte syrien est caractérisé, selon Hort, par la clarté du style, par une simplicité manifeste, par une assimilation harmonisante et par sa «complétude».
Comment expliquer, alors, la domination du texte syrien (= byzantin = majoritaire)? Selon Hort, il est le résultat d’une révision organisée du texte biblique, accomplie et imposée aux églises par l’autorité ecclésiastique. On parle de recension lucanienne (dont Lucien d’Antioche aurait été le responsable), mais l’existence de ladite recension n’a jamais été prouvée
Le texte grec de Westcott-Hort est par conséquent basé essentiellement sur les codex B (Vaticanus) et Aleph (Sinaïticus). Hort a déclaré: «Nous croyons que les leçons de Aleph et B devraient être acceptées comme les vraies leçons jusqu’à ce qu’on trouve une preuve interne forte du contraire, et qu’aucune leçon de Aleph et B ne peut solidement être absolument rejetée.
Dans la pratique, cela a conduit à l’émergence d’un nouveau, mais différent, texte standard. Les traducteurs de la Bible ont besoin de constantes dans le texte. C’est pour eux que Nestle a fait, en 1898, une sorte de «texte moyen». Et ce texte, bien qu’il ait été conçu pour être une aide provisoire, est devenu l’édition la plus influente du 20e siècle. Les «United Bible Societies» ont encore une fois modifié ce texte de Nestle dans les années 60. Et ce texte («Nestle-Aland»), sur lequel Kurt Aland avec ses théories exerce une grande influence, est celui qui sert actuellement de base à presque toutes les nouvelles traductions.
Certains spécialistes ont été troublés par le fait qu’un petit nombre de manuscrits récemment découverts puisse prévaloir contre des centaines d’années de dépendance à l’égard du texte traditionnel et contre le nombre impressionnant de manuscrits qui l’appuyaient. Le plus énergique de ces critiques a été John W. Burgon, doyen de Chichester. Sa préférence allait au texte syrien/byzantin parce qu’il était soutenu par la grande majorité des manuscrits. Il considérait que le Codex Vaticanus et le Codex Sinaïticus étaient corrompus et n’étaient donc pas des témoins fiables du texte original. Une autre critique soulignait que Hort n’avait pas vraiment appliqué la méthode généalogique aux manuscrits du NT: toutes ses démonstrations renvoyaient à des manuscrits hypothétiques et non existant en réalité. De plus, on constate que l’ensemble des manuscrits présente des phénomènes de mélange (mixture), ce qui rend la méthode généalogique aléatoire. Plusieurs affirment ainsi que la méthode généalogique ne peut pas être appliquée au NT.
Plus récemment, les praticiens de la critique textuelle ont effectué une classification des manuscrits en textes-types différente de celle de Westcott-Hort. Ils dépendent beaucoup moins des codex Vaticanus et Sinaïticus, reconnaissant plus de poids à d’autres témoins anciens tels que les papyri. Beaucoup acceptent désormais d’inclure le texte byzantin dans leur formule plutôt que de l’ignorer.
La méthode appliquée aujourd’hui par la critique textuelle peut se résumer en deux principes majeurs:
- choisir la leçon qui explique le mieux l’origine des variantes concurrentes;
- choisir la leçon dont il est le plus probable que l’auteur l’ait écrite (en fonction du contexte, du style…).
Le problème, c’est que les différents savants qui se penchent sur les textes ne sont pas toujours d’accord entre eux. Il arrive même qu’ils changent d’avis avec le temps…
Les partisans du texte alexandrin
- Le codex Sinaïticus et le codex Vaticanus sont des manuscrits anciens (4e siècle apr. J.-C.), plus anciens que les manuscrits majoritaires et donc plus proches dans le temps des manuscrits autographes.
- La quantité n’est pas nécessairement synonyme de qualité.
- Le texte alexandrin et, dans une moindre mesure, le texte occidental, est attesté dans des sources extra-bibliques au 2e siècle, alors que pour le texte majoritaire ce n’est pas le cas avant le 4e siècle.
- Les différences entre les traditions manuscrites s’expliquent mieux si l’on considère que le texte alexandrin est plus proche des manuscrits autographes. Le grec du texte alexandrin est plus populaire que celui des manuscrits majoritaires, et il est plus logique de penser que l’on a modifié le texte afin de le faire correspondre à une formulation classique que l’inverse.
- Il est normal que le texte alexandrin ne soit pas attesté après la fin du 4e siècle, puisque le schisme de l’Empire romain (en 395) et, moins de 100 ans plus tard (en 476), la chute de l’Empire romain d’Occident ont fait perdre au grec son statut de langue internationale. Il n’a véritablement survécu que dans l’Empire byzantin.
- Le texte majoritaire a deux caractéristiques principales: il est plus élaboré et plus explicite dans les pronoms possessifs; il fait un usage plus abondant des titres de Dieu et de Jésus.
Les partisans du texte majoritaire
- La circulation du texte majoritaire a été particulièrement importante dans les régions de l’Empire romain où les livres du NT sont arrivés en premier et où l’Eglise était florissante: Ephèse, Corinthe, Galatie, Philippes, Colosses et d’autres endroits qui allaient appartenir, plus tard, à l’Empire byzantin. Le texte minoritaire n’a jamais connu de large circulation dans l’Eglise. Les manuscrits de ce groupe diffèrent non seulement d’avec le texte majoritaire mais aussi entre eux. Entre le Vaticanus et le Sinaïticus, on répertorie pas moins de 3000 différences rien que dans les Evangiles. Par ailleurs, il arrive que le codex Vaticanus appuie le texte majoritaire contre le codex Sinaïticus, ou que le codex Sinaïticus appuie le texte majoritaire contre le codex Vaticanus.
- Ceux qui critiquent le texte majoritaire mettent l’accent sur le fait que peu de ses manuscrits sont anciens; à quoi l’on peut rétorquer que c’est exactement ce que l’on est en droit d’attendre d’un texte constamment remplacé. On peut considérer que, si le texte minoritaire ancien a survécu, c’est parce qu’il était peu employé et a circulé en Egypte où le climat sec a contribué à la conservation des supports. En outre, des papyri anciens ont montré que bien des leçons du texte majoritaire sont aussi anciennes que celles des manuscrits minoritaires.
- Un des facteurs qui contribuent à garantir la transmission fidèle d’un texte, c’est la compétence dans la langue originale. Une traduction parfaite étant impossible, c’est le grec qui doit être consulté. Un manuscrit copié par un scribe ne connaissant pas la langue qu’il transcrit est mauvais. En Egypte, l’usage du grec était déclinant, déjà au début de l’ère chrétienne et, de ce fait, les compétences des copistes dans cette langue déclinaient aussi. Le Vaticanus contient de nombreuses omissions ou répétitions, ce qui indique que le copiste était peu soigneux.
- Le texte minoritaire contient des erreurs manifestes, que l’on peut considérer comme des traces d’une activité éditoriale qui a corrompu le texte ou, au minimum, comme des traces de négligence:
Matthieu 1.7 , 10 : Deux rois inexistants figurent dans la généalogie de Jésus, Asaph et Amos. Le texte majoritaire porte les noms corrects, à savoir Asa et Amon.
Lc 23.45: Il y a une erreur scientifique avec la mention d’une éclipse du soleil à la mort du Christ, impossible pendant la pleine lune. Le texte majoritaire dit que le soleil fut assombri. - Un autre facteur qui contribue à garantir la transmission fidèle d’un texte, c’est, l’accès aux manuscrits autographes. C’est dans un délai de 100 ans qu’il était possible de confronter une copie à un original, et ce seulement si l’on ne se trouvait pas trop loin de l’endroit où était conservé cet autographe. On peut donc penser que la qualité des copies devait être plus élevée dans la région proche de l’autographe, et décroître au fur et à mesure de l’éloignement géographique. Or les autographes devaient se trouver en Asie Mineure, en Grèce, à Rome et peut-être dans la future Palestine, mais aucun n’avait de raison d’être à Alexandrie, et le centre de gravité de l’Eglise a très vite cessé de se trouver dans la région d’Israël pour se déplacer vers l’Asie Mineure (cf. Apocalypse 2-3 ). En ce qui concerne l’Egypte, l’autographe le plus près pouvait se trouver à Jérusalem, et encore, ce devait être le cas avant 70 apr. J.-C. seulement (moment de la destruction de Jérusalem). La plus grande partie des autographes se trouvaient de l’autre côté de la mer. Ainsi donc, il est possible d’affirmer que les critères caractéristiques d’une transmission fidèle et de bonne qualité n’étaient pas réunis en Egypte. Le texte byzantin a plus de chances d’être fiable.
- Le codex Vaticanus peut être tenu pour une recension dont on peut retrouver les règles: préférer la leçon la plus courte et rendre toujours un sens pertinent en cas de difficulté. Cela est visible en Jean 3.13 avec l’omission de «qui est dans le ciel», le raccourci de Jean 14.4 «là où je vais vous savez le chemin» au lieu de «là où je vais vous le savez et vous savez le chemin», l’harmonisation de Matthieu 1.18 avec Matthieu 1.1 («origine… origine» au lieu de «origine… naissance», les deux mots étant très proches en grec). De même, le Vaticanus et le Sinaïticus ne contiennent pas la doxologie conclusive du Notre Père (Matthieu 6.13 «Car c’est à toi qu’appartiennent… Amen»).
Quelques exemples de variantes dans le NT
Luc 2.33
Texte majoritaire: Joseph et la mère de Jésus (litt. de lui) étaient émerveillés de ce qui était dit à son sujet.
Sinaïticus et Vaticanus: Son père et sa mère étaient émerveillés de ce qui était dit à son sujet.
Jean 7.8 , 10
Texte majoritaire + Vaticanus: Vous, montez à cette fête. Moi je ne monte pas encore à cette fête parce que mon temps n’est pas encore accompli. … Alors lui-même y monta, non ouvertement mais comme en secret.
Sinaïticus: Vous, montez à cette fête. Moi je ne monte pas à cette fête parce que mon temps n’est pas encore accompli. … Alors lui-même y monta, non ouvertement mais en secret.
La leçon du codex Sinaïticus peut donner l’impression que Jésus est menteur, puisqu’il affirme ne pas monter à la fête avant de s’y rendre tout de même. Ici, le codex Vaticanus et le texte majoritaire sont d’accord…
1 Timothée 3.16
Texte majoritaire: Il est grand le mystère de la piété: Dieu est apparu dans une chair
Sinaïticus, Alexandrinus, Codex Ephraemi rescriptus: Il est grand le mystère de la piété: lui qui est apparu dans une chair
Vaticanus: manquent 1 Timothée à Philémon
Apocalypse 22.14
Texte majoritaire: Heureux ceux qui accomplissent ses commandements afin d’avoir droit à l’arbre de vie et d’entrer par les portes dans la ville!
Sinaïticus, Alexandrinus: Heureux ceux qui lavent leurs robes afin d’avoir droit à l’arbre de vie et d’entrer par les portes dans la ville!
Vaticanus: manque l’Apocalypse
La position de la Société Biblique de Genève
Les partisans respectifs du texte reçu, des manuscrits majoritaires et du texte alexandrin s’accusent parfois de retrancher ou au contraire d’ajouter à la Parole de Dieu, et certains se livrent une véritable bataille à coups de «preuves», d’arguments et de contre-arguments. En réalité, aucun des groupes de manuscrits cités ne remet en question les doctrines essentielles de la foi chrétienne, en particulier la double nature de Jésus, son œuvre salvatrice et son retour. Ainsi, la Société Biblique de Genève estime qu’il n’y a aucune incohérence à publier en parallèle, comme elle le fait en allemand, un texte basé sur le Textus Receptus (la Schlachter 2000) et un autre basé sur le texte Nestle-Aland (la Neue Genfer Übersetzung). Elle considère que de telles polémiques sont souvent inutiles et même, parfois, nuisibles à l’annonce de l’Evangile de Christ.
Dans le cadre du travail sur la Segond 21, la Société Biblique de Genève est même allée plus loin dans cette démarche: elle a estimé que la transparence était de rigueur pour que chacun puisse se forger sa propre opinion sur une base solide. Ainsi, elle a choisi de mettre à disposition de toute personne désireuse de «creuser» la Bible des informations habituellement accessibles uniquement aux spécialistes ou étudiants en langues anciennes: les différences et les points de concordance (nettement plus nombreux!) entre les manuscrits grecs, pour le Nouveau Testament, et entre les manuscrits hébreux et les textes des versions anciennes pour l’Ancien Testament. Cela s’est fait par l’intégration:
- dans les notes de la Segond 21 avec notes de référence, de la mention précise des variantes et des manuscrits qui portent tel ou tel texte;
- dans le texte biblique du Nouveau Testament, d’un grand nombre de leçons du texte majoritaire, puisque la plupart des autres versions françaises sont basées sur les textes minoritaires.
La conviction qui sous-tend cette manière de faire? Celle que le lecteur pourra se rendre compte par lui-même que les divergences ne portent pas à conséquence et qu’aucun élément de la foi chrétienne «orthodoxe» n’est remis en cause par elles. Ce qu’un texte dit peu clairement dans une des traditions manuscrites est enseigné plus clairement dans un autre passage, et cela n’empêche pas Dieu de se révéler au lecteur.