Guillaume Farel fut un évangéliste itinérant, un orateur au verbe haut plus qu’un écrivain. Il prêchait en tous lieux, une place publique, une chambre, il lui suffisait d’une pierre, un escabeau d’où il exhortait son auditoire, si les chaires lui étaient refusées. Ou alors une salle de tribunal, car il avait l’art de traiter de larrons les prêtres qui abusaient des fidèles, afin d’être cités par eux en justice. Lui-même intentait des procès à ceux qui l’injuriaient ou le frappaient, occasions d’annoncer la Parole de Dieu en public! A Genève, Il prépara le terrain avant l’arrivée de Calvin.
Fils d’une pieuse famille de notaires, il ne méprise pas la religion de ses pères, mais toutes les dévotions que lui prescrit son Eglise ne lui procurent pas la paix de son âme.
Ses études à Paris le font entrer en contact avec le réveil de la culture qu’est l’humanisme. Lefèvre d’Etaples lui conseille de lire la Bible où il constate avec stupeur qu’elle contredit sur plusieurs points ce qu’on lui a enseigné. Il comprend que la grâce est un cadeau de Dieu, qu’elle n’est pas le fruit des œuvres.
Plusieurs années de recherche, de tâtonnements et de lecture persévérante de l’Evangile seront toutefois nécessaires à Farel pour rompre avec ses habitudes et sa façon de penser. Il cherche, prie, écoute ses compagnons en quête de la Vérité et enfin, au début de l’an 1521 semble-t-il, l’Esprit l’éclaire. Il ne peut, dès lors, garder pour lui seul la joie et la force que lui procure la Parole de Dieu. La Bonne Nouvelle doit embraser le monde. A Paris, à Meaux, puis à Bâle, où son zèle provoque une discussion publique, il ne se donne aucun répit.
Son langage est imagé, précis, vigoureux mais paraît quelque peu sommaire au grand Erasme qui intervient contre lui auprès du Conseil de Bâle. Farel doit quitter la place. Il se rend alors à Montbéliard où le seigneur du lieu lui réserve bon accueil et l’autorise à prêcher dans l’église du château. Sa verve lui vaut les félicitations d’OEcolampade, réformateur de Bâle, qui lui demande toutefois de modérer son ardeur en lui écrivant: «Tâchez d’imiter le Christ par votre vie et, j’y insiste, par votre manière d’enseigner. » Il est aussi l’objet d’insultes et la cible de contradicteurs. Sous la pression de l’archevêque de Besançon et de la Diète suisse, il devra quitter Montbéliard en mars 1525. Il se rend à Bâle, puis à Strasbourg et, en 1532, il arrive à Genève en compagnie d’Olivétan et de Saunier. Le clergé ameute le peuple contre eux et ils sont contraints de fuir. Les partisans de la Réforme se sentent brimés, mais Farel ne s’avoue pas vaincu. Il prêche le 4 janvier 1534, avec Pierre Viret, dans la maison d’un notable. Malgré les émeutes, une tentative d’empoisonnement, des menaces extérieures, les deux hommes sont, au milieu des Genevois, comme des Evangiles vivants. La pure Parole de Dieu continue à se frayer un chemin. La Dispute de Rive, en juin 1535, en assure si bien le triomphe que le 10 août, la messe est suspendue et le Conseil général déclare «vouloir vivre en cette sainte loi évangélique et Parole de Dieu». Lorsque Calvin arrive à Genève, la République et son Eglise peuvent tranquillement songer à s’organiser. Farel restera deux ans encore à Genève, puis il s’effacera devant celui qu’il considère comme son maître et s’installera à Neuchâtel.
Dans cette ville, la lutte se révèle âpre, semée d’embûches et d’échecs. Pourtant Farel avait été sollicité par la Vénérable Classe des pasteurs, le Conseil de Ville et les bourgeois. Dès juillet 1530, il avait enflammé les foules à Neuchâtel et le 4 novembre, on avait voté, la ville avait basculé dans le camp des évangéliques.
Farel ne laisse pas en paix ceux qui croyaient que la Réforme se contenterait de les débarrasser des contraintes et traditions, des superstitions, des rites, des oeuvres de charité et de piété, imposés par un clergé avide de pouvoir et d’argent, sans rien exiger d’autre que la fréquentation passive du prêche. Par exemple, il s’en prend à la fille du gouverneur qui a quitté son mari, il dénonce le mal. Impulsif, voire imprudent, quelquefois maladroit ou impatient, il s’attire des inimitiés. On veut le chasser, mais il tient ferme dans sa ligne de conduite et ses adversaires ne trouvent rien contre lui.
Farel voit en Neuchâtel un centre de rayonnement de la Réforme. Il y veut une bonne école, un collège, voire une académie. Mais pensionnaires et écolages ne l’empêchent pas de végéter. De plus, la régence de Claude de Guise, adversaire acharné de la Réforme, menace même les acquis. La tentation de quitter la ville est grande, d’autant qu’on l’appelle à Genève, mais il ne veut pas partir avant d’avoir trouvé un remplaçant qualifié. Il n’en trouve point et il reste. Sa tâche est lourde. Prêcher, enseigner, visiter les malades à l’hôpital et à domicile, les lépreux à la Maladière, les vieillards, les prisonniers. Elle n’est pas sans risque: à Valangin, il est battu et traîné jusqu’à la chapelle où on le fait s’agenouiller en lui ordonnant: «Juif, adore ton Dieu», en lui frappant la tête contre la pierre.
Infatigable, il se rend à Bâle, à Montbéliard, à Aigle, au Vully, à Morat, à Tavannes, à Metz, partout, il fait preuve de la même hardiesse, du même talent polémique, de la même résolution, du même amour. Il sera à Metz en juin 1525, juste après le massacre des paysans par Antoine de Lorraine et Claude de Guise, mais il est menacé d’arrestation et doit se réfugier à Strasbourg. Encore en 1542, où il prêche dans le cimetière des Jacobins alors qu’on a fait sonner les cloches pour couvrir sa voix. Puis en 1543, le jour de Pâques, alors que, à Goze, aux portes de la ville, 200 fidèles s’apprêtent à célébrer la cène, interdite dans la cité, la troupe charge. Il y a trois morts et la tête de Farel est mise à prix. Avec Calvin, il se battra pour défendre et réconforter les protestants de Metz, mais, sous la menace, la ville retombera sous la coupe de Rome. Calvin, fatigué, rejoint Genève, qui deviendra la «Rome du protestantisme », et Farel Neuchâtel, après un an d’absence. Il encourage son ami lorsqu’il devra faire face à l’adversité, il assiste le condamné Servet dans ses derniers moments, sans pour autant s’opposer à son exécution.
A 69 ans, le 20 décembre 1558, il épouse la très jeune fille de la veuve d’Alexandre Thorel, de Caen, mariage qui provoque quelques remous vite oubliés. Il sera encore à Gap, où une Eglise nombreuse se constitue, à Grenoble, à Die. Il assiste aux derniers instants de Calvin et s’éteint le 13 septembre 1565. Alors qu’il avait miraculeusement guéri d’une grave maladie qui l’avait frappé douze ans auparavant, Calvin lui avait souhaité encore dix ans de labeur. Onze lui furent donnés. Dieu écoute ceux qui font sa volonté.
Auteur: René Neuenschwander
Paru dans Bible-Info , printemps 2006