A côté de la Bible, nous disposons d’un certain nombre de textes à peu près contemporains ou de peu postérieurs qui n’ont pas été inclus dans le canon biblique et suscitent un regain d’intérêt aujourd’hui. On les désigne sous le terme général d’apocryphes («cachés»). Certains d’entre eux ont été reconnus comme canoniques par une partie de la chrétienté.
Les deutérocanoniques catholiques et orthodoxes
En plus des 39 livres reconnus par les juifs et les protestants, les catholiques en comptent 8 de plus, outre plusieurs parties de livres, que les orthodoxes reconnaissent aussi comme sacrés. Ils les appellent deutérocanoniques (c’est-à-dire «du deuxième canon»), tandis que les protestants préfèrent l’appellation d’apocryphes.
Ce sont des textes qui apparaissent, en nombre variable selon les codex, dans la traduction grecque de l’Ancien Testament, la Septante, puis dans la traduction latine, alors qu’ils sont absents du texte hébreu. Ils ont du reste été écrits directement en grec pour la plupart et sont postérieurs au 5e siècle av. J.-C. Certains auteurs de ces livres eux-mêmes leur nient toute inspiration (voir le Prologue de l’Ecclésiastique; 1 Maccabées 4.46; 9.27; 2 Maccabées 2.23; 15.38).
Ces textes sont les suivants:
- parmi les textes historiques: Tobit, Judith et les additions grecques à Esther, 1 et 2 Maccabées;
- parmi les livres poétiques et sapientiaux: Sagesse de Salomon et Ecclésiastique (aussi appelé Siracide);
- parmi les livres prophétiques: Baruch, la lettre de Jérémie et des additions à Daniel.
C’est la quatrième session du concile de Trente, le 8 avril 1546, qui les a déclarés canoniques. Vingt ans après, le terme de «deutérocanonique» était forgé par Sixte de Sienne.
On trouve ces textes dans certaines éditions de la Bible en français courant et de la Bible en français fondamental, ainsi que dans la Traduction Œcuménique de la Bible et les éditions catholiques de la Bible.
1 Maccabées (16 chapitres)
Les événements rapportés dans ce livre s’étendent sur une période d’environ quarante ans depuis le roi de Syrie Antiochus Epiphane (175) jusqu’à la mort de Simon (134 apr. J.-C.). L’auteur rapporte des persécutions dont sont victimes les Juifs pieux, la révolte et la fuite de Matthatias au désert, puis les exploits des trois frères qui se sont succédés: Judas, Jonathan, Simon. Il s’achève par l’évocation du règne de Jean Hyrcan, fils de Simon.
2 Maccabées (15 chapitres)
Surnommé «l’abréviateur», l’auteur présente son ouvrage comme le condensé d’un livre antérieur écrit par un certain Jason de Cyrène, inconnu par ailleurs. L’essentiel du contenu est un récit plus détaillé que celui de 1 Maccabées et qui commence un peu plus tôt, avant la mort de Judas.
Les adjonctions grecques à Esther
Il y a deux types principaux d’adjonctions au texte hébreu d’Esther: des embellissements romanesques et des compléments religieux (notamment des prières). On trouve aussi une introduction (où est évoqué un songe de Mardochée qui annonce les événements à venir) et une conclusion, des copies de lettres du roi pour l’extermination des Juifs et la condamnation des ennemis des Juifs. Outre certains problèmes de cohérence entre le texte hébreu et les adjonctions grecques, on note une radicalisation de l’attitude des personnages dans la version grecque.
Les adjonctions grecques à Daniel
Il y a deux types d’adjonctions au texte hébreu de Daniel: des adjonctions liturgiques (prière d’Azaria et cantique de reconnaissance des trois jeunes gens jetés dans la fournaise ardente) et des récits (l’histoire de Suzanne et deux récits dirigés contre les cultes idolâtres: l’histoire des prêtres de Bel et celle du dragon).
Judith (16 chapitres)
Ce livre raconte comment une jeune veuve du nom de Judith délivre, grâce à sa beauté séductrice, sa ruse et ses mensonges, la ville de Béthulie, assiégée par l’ennemi. Peut-être fondé sur un fait réel, le récit présente des erreurs historiques flagrantes. Ainsi, il confond les Assyriens, les Babyloniens et les Perses.
Tobit (ou Tobie, 14 chapitres)
Les personnages mis en scène dans ce livre n’ont pas de rôle politique ou militaire. Le récit est situé à l’époque assyrienne parmi les déportés du royaume du nord (à la fin du 8e siècle et au début du 7e) et tourne autour de trois personnages principaux: Tobit, un homme pieux qui habite à Ninive, se soucie des pauvres et s’emploie à donner une sépulture décente aux cadavres abandonnés; Tobias, son fils, qui effectue un voyage, au cours duquel il est accompagné par un personnage mystérieux qui n’est autre que l’ange Raphaël; Sara, une jeune fille juive d’Ecbatane en Médie, qui est victime d’un démon protecteur de sa virginité et va épouser Tobias, vainqueur du démon. Le miraculeux présent dans ce livre est différent du miraculeux que l’on trouve dans les textes canoniques, dans le sens où il est proche de la magie. En outre, le récit insiste souvent sur l’importance de l’aumône, supposée délivrer de la mort (4.10; 12.9).
La Sagesse de Salomon (19 chapitres)
L’ouvrage comprend trois grandes parties reliées l’une à l’autre: la destinée humaine, avec le sort du juste et de l’impie; l’éloge de la sagesse, où Salomon s’adresse aux rois; le rôle de la sagesse dans l’histoire, avec en particulier une méditation sur l’Exode qui occupe près de la moitié du livre.
Le Siracide (ou Ecclésiastique, 51 chapitres + 1 préface)
La préface du Siracide mentionne l’existence d’un original hébreu, dont on a retrouvé des fragments à Qumrân et à Massada. L’auteur du livre est explicitement identifié dans la conclusion (50.27): Jésus fils de Sirakh, fils d’Éléazar de Jérusalem; le traducteur grec se présente comme le petit-fils de l’auteur, et les indications internes amènent à dater l’ouvrage du début du 2e siècle, avant la période des Maccabées. Le corps du livre est composé essentiellement de réflexions et de conseils de type sapiential, de longueur variables, mais ajoutés les uns aux autres sans lien logique ou thématique entre eux (contrairement au livre de la Sagesse). L’ouvrage s’achève par une partie beaucoup plus construite, qui célèbre la grandeur et la sagesse de Dieu, puis par un éloge des pères, d’Hénoc à Néhémie, ainsi que du grand-prêtre Simon.
Le Siracide est de tous les ouvrages apocryphes celui dont l’influence est la mieux attestée dans le judaïsme et dans l’Eglise ancienne. Si le livre a été appelé par les chrétiens Ecclésiastique, c’est en raison du rôle qu’on lui attribuait pour l’instruction des croyants. On y trouve, comme chez Tobit, l’idée que l’aumône efface les péchés (3.14-15, 30). On y trouve aussi des textes très négatifs sur la femme.
Le livre de Baruch (5 chapitres)
Le livre contient une introduction assez détaillée qui présente l’ouvrage comme ayant été écrit par Baruch (le scribe du prophète Jérémie) et envoyé par lui de Babylone à Jérusalem, ainsi qu’une prière de confession des péchés pour le peuple exilé, une méditation sur la sagesse, puis deux discours symétriques, l’un de Jérusalem personnifiée à ses enfants, l’autre à Jérusalem personnifiée. Jérusalem explique à ses enfants qu’elle ne peut rien pour eux. S’ils sont partis en déportation, c’est à cause de leurs péchés. Dieu seul peut les délivrer. Elle les encourage à se tourner vers lui.
La lettre de Jérémie (1 chapitre de 72 versets)
Parfois intégré au livre de Baruch comme un 6e chapitre, ce texte est présenté comme la copie d’une lettre que Jérémie aurait remise aux Juifs qui allaient être déportés à Babylone afin de les mettre en garde contre le culte des images.
Les deutérocanoniques orthodoxes
A côté des livres de l’Ancien Testament reconnus comme canoniques par les catholiques, les orthodoxes reconnaissent l’autorité de plusieurs autres, présents dans certains manuscrits de la Septante. Toutefois, leurs contours et même leur nom varient selon les éditions:
- parmi les textes historiques: 3 Esdras (ou Esdras grec, appelé 2 Esdras dans les éditions slavones et éthiopienne, Esdras A en grec, et 1 Esdras dans les éditions arménienne et syriaque) et 3 Maccabées;
- parmi les textes poétiques: le Psaume 151 (!) (accepté par les Eglises copte, éthiopienne et arménienne) et la Prière de Manassé (livre séparé dans les éditions roumaines, à la fin de 2 Paralipomènes, c’est-à-dire 2 Chroniques, dans les éditions slavones);
- parmi les textes prophétiques: 4 Esdras (éditions slavones, où il est appelé 3 Esdras);
- un texte philosophico-historique: 4 Maccabées (présent à la fin de l’Ancien Testament dans les Bibles grecques seulement).
Dans les éditions roumaines, les ajouts grecs à Daniel (voir les deutérocanoniques catholiques et orhodoxes) forment trois livres séparés.
On trouve ces textes dans l’édition 2010 de la Traduction Œcuménique de la Bible.
3 Esdras (9 chapitres)
Dans la Septante, ce texte est intitulé 1 Esdras et précède Esdras et Néhémie (regroupés pour former 2 Esdras). Dans les Bibles latines, il vient après Néhémie, qui est intitulé 2 Esdras, et porte donc le nom de 3 Esdras. Il décrit l’histoire d’Israël de 622 av. J.-C. (Pâque célébrée par Josias) à l’intervention d’Esdras à Jérusalem et présente certains parallèles avec la fin de 2 Chroniques, Esdras et Néhémie, tout en intégrant en 3.1–5.6 un épisode totalement inédit relatif au roi Darius. On situe sa rédaction vers le 3e ou 2e siècle av. J.-C.
4 Esdras (16 chapitres)
Texte connu essentiellement par sa traduction latine, 4 Esdras se compose de 12 chapitres constituant l’Apocalypse d’Esdras et d’ajouts chrétiens (chapitres 1–2 et 15–16). Probablement rédigé après la chute de Jérusalem en 70 apr. J.-C., il a notamment pour centres d’intérêt la question du peuple de Dieu, l’origine du mal, le règne du Messie, le jugement.
3 Maccabées (7 chapitres)
Ayant pour cadre le conflit entre Egyptiens et Syriens au 3e siècle av. J.-C., 3 Maccabées relate la persécution des Juifs par le roi égyptien Philopator, en raison de leur refus d’offrir des sacrifices à Dionysos, ainsi que leur libération miraculeuse et la fête instituée en souvenir de cet événement. Il semble avoir été écrit au 1er siècle apr. J.-C.
4 Maccabées (18 chapitres)
Se présentant comme un discours philosophique qui défend la thèse la supériorité de la raison pieuse sur les passions, 4 Maccabées s’inspire des chapitres 3–7 de 2 Maccabées qui évoque le martyre de Juifs à l’époque du roi de Syrie Antiochus Epiphane. Il semble avoir été écrit au tournant des 1er et 2e siècles apr. J.-C., peut-être à Antioche.
Prière de Manassé (1 chapitre de 15 versets)
Il existe plusieurs versions de cette prière de repentance attribuée au roi Manassé et comblant en quelque sorte le «vide» constitué par la simple mention du changement d’attitude de ce souverain impie de Juda en 2 Chroniques 33 et de sa restauration. Il semble avoir été écrit entre le 2e siècle av. J.-C. et le 1er siècle apr. J.-C.
Psaume 151 (!) (1 chapitre de 7 versets)
Ce psaume «hors numérotation» attribué à David repose sur 1 Samuel 16 –17. Il fait partie des 5 psaumes supplémentaires présents dans la Peshitta, la version syriaque, et figure dans la Septante.
Les pseudépigraphes et écrits intertestamentaires
Le terme de pseudépigraphe désigne des écrits nés en milieu juif (mais rejetés par le judaïsme rabbinique), pour la plupart faussement attribués à un personnage biblique célèbre.
Leur période de composition s’étend du 2e siècle av. J.-C. au 2e siècle apr. J.-C., si bien que l’on parle aussi d’écrits intertestamentaires (entre les Testaments), mais certains sont contemporains du Nouveau Testament ou même postérieurs à lui.
Leur liste a des contours imprécis et se recoupe partiellement avec les écrits retrouvés à Qumrân. Parmi eux figurent
- les livres d’Hénoch,
- le livre des Jubilés,
- les Testaments des douze patriarches,
- les Psaumes de Salomon,
- le Testament de Moïse,
- le Martyre d’Esaïe,
- l’Apocalypse d’Elie,
- les Oracles sibyllins,
- la Vie d’Adam et Eve (ou Apocalypse de Moïse, à l’esprit misogyne),
- la Lettre d’Aristée.
Leur lecture permet de distinguer plusieurs caractéristiques: un intérêt prononcé pour le genre apocalyptique, un certain ésotérisme, une mention fréquente des démons et un dualisme plutôt tranché.
On trouve une partie de ces textes dans le volume de la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard) intitulé La Bible. Ecrits intertestamentaires.
Les apocryphes et pseudépigraphes chrétiens
De même qu’il y avait des écrits non canoniques en milieu juif, les milieux chrétiens ont véhiculé des textes auxquels on n’a pas reconnu d’autorité.
Datés des 1er et 2e siècles apr. J.-C., certains d’entre eux sont globalement conformes à l’enseignement des apôtres et livrent des instructions qui pouvaient être acceptées dans les Eglises en raison de leur orthodoxie:
- les épîtres de Clément,
- le Pasteur d’Hermas,
- la Didaché.
On trouve ces textes, ainsi que quelques autres, dans la Bibliothèque Foi Vivante (Cerf) sous le titre Les Pères Apostoliques.
D’autres textes sont marqués par l’ésotérisme, les enseignements hérétiques et la pseudépigraphie (fausse attribution à un personnage biblique célèbre). Leur rédaction va jusqu’au 7e siècle apr. J.-C.
- Certains portent sur Jésus et Marie, comme l’Evangile de Pierre, l’Evangile secret de Marc ou les Questions de Barthélémy.
- Le plus connu est certainement l’Evangile de Thomas, qui commence ainsi: «Voici les paroles secrètes que Jésus le Vivant a dites et que Didyme Jude Thomas a écrites.» L’influence de la pensée gnostique se fait sentir tout au long de ce recueil de 114 paroles (ou logia), avec en particulier le mythe de l’androgyne primordial. Le dernier logion a de quoi faire hurler les féministes et montre une différence réelle avec l’enseignement des ouvrages canoniques: «Simon Pierre leur dit: ‘Que Marie nous quitte, car les femmes ne sont pas dignes de la Vie.’ Jésus dit: ‘Voici que moi je l’attirerai pour la rendre mâle, de façon à ce qu’elle aussi devienne un esprit vivant semblable à vous, mâles. Car toute personne qui se fera mâle entrera dans le Royaume des cieux.’»
- Le Protoévangile de Jacques, ou Nativité de Marie, a exercé une influence considérable sur la piété mariale. Il présente Marie comme née d’une mère stérile et comme une vierge perpétuelle, puis brode sur les récits évangéliques de la naissance de Jésus, qu’il situe dans une grotte. L’Evangile du Pseudo-Matthieu, le Livre de la nativité de Marie ainsi qu’une Histoire de l’enfance de Jésus complètent le tableau.
- La doctrine catholique de l’Assomption de la vierge peut trouver un certain appui dans la Dormition de Marie du Pseudo-Jean.
- Ecrit clairement gnostique découvert à Nag Hammadi en 1945, l’Evangile de Philippe présente Marie de Magdala comme la compagne de Jésus, idée qui a été reprise dans certains films ou écrits récents.
- Un autre texte qui a fait parler de lui est celui de l’Evangile de Judas, dont une fondation helvétique s’est chargée de la traduction à partir du copte. Il s’agirait de documents datés entre les 3e et 4e siècles.
- Nous disposons en outre d’Actes d’André, de Jean, de Pierre, de Paul, de Philippe, de Thomas.
- Finalement, nous disposons d’un certain nombre de visions et «révélations»: l’Ascension d’Esaïe, l’Apocalypse d’Esdras, les Odes de Salomon, l’Apocalypse de Paul, l’Apocalypse de Pierre.
Outre leur tendance à l’ésotérisme (par définition marqué du sceau du secret et élitaire), les écrits apocryphes et pseudépigraphes recourent à un surnaturel beaucoup moins sobre que celui des textes canoniques.
On trouve une partie de ces textes dans les volumes de la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard) intitulés Ecrits apocryphes chrétiens.