Le Mur des Réformateurs, érigé au début du XXe siècle à Genève, rend hommage à une vingtaine de personnages importants ayant marqué le mouvement de la Réforme. Nous les présentons, en commençant par ceux qui y ont été ajoutés en 2001 seulement. Après Valdès de Lyon, un autre précurseur de la Réforme fut l’Anglais John Wycliff.
Au XIIIe siècle, l’Eglise de Rome avait soumis l’Angleterre, mais plusieurs conflits eurent lieu entre le pouvoir royal et la papauté, le premier résistant à la prétention du pape d’être le suzerain du roi. Plusieurs précurseurs de la Réforme s’illustrèrent dans ce pays. Avant l’apparition de Wycliff sur la scène, des évêques anglais s’étaient élevés contre la tyrannie de Rome, notamment Robert Grosse- Teste, un érudit qui lisait les Ecritures dans les langues originales, reconnaissait leur souveraine autorité et la mettait au-dessus du pape. Il s’opposa violemment à Innocent III. Dans la première moitié du XIVe siècle vécut en Angleterre Bradwardine, autre pieux prélat et homme savant. Il se convertit lui aussi à la précieuse doctrine de la grâce et s’opposa aux pratiques de l’Eglise romaine. Il devint, peu avant sa mort en 1349, archevêque de Cantorbéry. John Wycliff put profiter de son enseignement et, alors qu’il était étudiant en 1345, une terrible peste ravagea l’Asie, l’Europe et aussi l’Angleterre. Le jeune homme fut profondément troublé par ce qu’il considérait être un jugement de Dieu. Effrayé à la vue de ses péchés et dans l’attente de son jugement, il demanda à Dieu ce qu’il fallait faire. Dieu lui répondit par sa Sainte Parole en lui révélant ce qu’était le salut par grâce. Wycliff trouva la paix et résolut de faire connaître à d’autres ce qu’il avait appris.
Nommé directeur du collège de Balliol, il démontrait et expliquait les doctrines de la foi aux étudiants, et le dimanche il les prêchait au peuple dans un langage simple. Il accusait le clergé d’avoir mis de côté les Saintes Ecritures et demandait que la Parole de Dieu soit rétablie dans l’Eglise. Il s’élevait avec véhémence contre les moines mendiants, qui dépouillaient pauvres et riches et vivaient dans l’opulence et la débauche. Il s’opposa aussi avec énergie au pape Urbain V, qui réclamait au roi Edouard III un tribut féodal et exigeait que ce dernier se reconnaisse comme son vassal.
Wycliff fut ensuite nommé recteur de l’Eglise de Lutterworth et il se mit à prêcher avec hardiesse ses doctrines pour la réformation de l’Eglise. “L’Evangile est l’unique source de religion”, affirmait-il en s’en prenant vivement à la papauté. Ces propos alarmèrent le clergé et l’évêque de Londres l’accusa d’hérésie. Sommé de comparaître devant une assemblée du clergé à deux reprises, il ne dut d’avoir la vie sauve la première fois qu’à la protection des deux plus puissants seigneurs du royaume, la seconde à l’intervention de la reine mère, qui interdit de poursuivre les débats.
Wycliff déclara alors: “J’ai l’intention et le désir, par la grâce de Dieu, d’être un vrai chrétien et, aussi longtemps que je respirerai, de professer et défendre la loi de Christ.” Dès lors, il se livra entièrement à l’oeuvre d’évangélisation, forma des disciples, qu’on appelait “les pauvres prêtres”, qui s’en allèrent prêcher dans tout le pays, jusque dans les plus petits hameaux, vivant d’aumônes et apportant l’Evangile en tous lieux. Le clergé obtint une loi qui ordonnait à tout officier de jeter ces prédicateurs en prison, mais la plupart du temps, le peuple les protégeait et empêchait leur arrestation.
Son travail d’évangélisation et ses fonctions de professeur à Oxford épuisèrent John Wycliff et le menèrent à l’article de la mort. Le clergé lui envoya alors une délégation des quatre ordres religieux, accompagnés de quatre conseillers municipaux, qui avaient pour mission d’obtenir la rétractation de ce qu’il avait enseigné. Il refusa et affirma: “Je ne mourrai pas, mais je vivrai et je dénoncerai encore la turpitude des moines.” Contre toute attente, Wycliff se rétablit et put mener à bien l’oeuvre qui lui tenait à coeur par-dessus tout: donner aux Anglais ce que personne ne possédait, la Bible dans leur langue. Ignorant le grec et l’hébreu, il fut obligé de faire sa traduction d’après la Vulgate. Il y travailla durant dix ans, aidé de quelques amis, et en 1380 l’ouvrage fut terminé et copié pour être diffusé. L’accueil dépassa les espérances de Wycliff, mais cette diffusion lui attira les haines des ecclésiastiques, pour qui une Bible en anglais, que le peuple et même les femmes pouvaient lire (!), équivalait à “la perle évangélique foulée aux pieds par les pourceaux”. Certains plaçaient même l’Eglise au-dessus des Evangiles. Un exemplaire parvint au palais et la reine Anne de Luxembourg, épouse du roi Richard II l’étudia avec passion. Partisans et détracteurs de cette œuvre s’opposèrent violemment, et à la Chambre des lords on discuta même de faire saisir tous les manuscrits existants.
Wycliff s’éleva également contre la doctrine de la transsubstantiation et ne cessa de dénoncer les erreurs de la papauté, ce qui lui valut d’innombrables attaques de la part du clergé et même du roi. Et si ses amis l’abandonnèrent peu à peu, lassés par les persécutions continuelles, sa foi en Christ et en la suprématie de l’Evangile sur toute autre doctrine humaine ne faiblirent jamais.
Sommé de comparaître devant le pape Urbain VI, reconnu en Angleterre, alors que d’autres pays reconnaissaient Clément VII, il ne répondit pas à cet ordre, car sa santé était chancelante, mais il lui écrivit ses convictions. Trop occupé par sa lutte avec son rival, Urbain VI le laissa en paix et John Wycliff put finir sa vie sereinement, au milieu de ses paroissiens. Il écrivit encore son Trialogue, entretiens entre trois personnages imaginaires: la vérité, le mensonge et l’intelligence. Il s’éteignit paisiblement le 31 décembre 1384. Pour se venger de l’impuissance que l’Eglise de Rome avait eu à terrasser Wycliff de son vivant, le concile de Constance de 1415 ordonna que ses restes soient brûlés, ce qui fut fait en 1428. Ses cendres furent jetées dans un ruisseau. Ainsi, plus d’un siècle après le Français Jean Valdo, John Wycliff avait contribué à jeter les bases de la Réforme en Angleterre. Après sa mort, ses disciples, qu’on appelait les “Lollards”, poursuivirent son oeuvre à travers tout le royaume. Ils adressèrent même une requête au Parlement, demandant qu’on abolisse le célibat des prêtres, la transsubstantiation, la prière pour les morts, l’offrande faite aux images et la confession. Ils furent accusés d’hérésie et leurs rangs comptèrent de nombreux martyrs.
Auteur: René Neuenschwander
Paru dans Bible-Info , été 2005