Commencement de l’Evangile de Jésus- Christ, Fils de Dieu. Selon ce qui est écrit dans Esaïe, le prophète:
Voici, j’envoie devant toi mon messager,
Qui préparera ton chemin;
C’est la voix de celui qui crie dans le désert:
Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers.
NEG 1979
Commencement de l’Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu, selon ce qui est écrit dans les prophètes: Voici, j’envoie mon messager devant toi pour te préparer le chemin. C’est la voix de celui qui crie dans le désert: ‘Préparez le chemin du Seigneur, rendez ses sentiers droits.’
Segond 21
Le pluriel vous surprend: vous ne vous rappeliez pas l’avoir lu dans ce verset auparavant. Fiévreusement, vous consultez les autres versions à votre disposition. Le verdict est implacable: que vous lisiez Marc 1 ; 1-3 dans la version du Semeur, dans la Bible en français courant, dans la version Parole de Vie, la Bible de Jérusalem, la Nouvelle Bible Segond ou encore la Traduction OEcuménique de la Bible, il est bien question d’un seul prophète, le prophète Esaïe. Vous commencez déjà à regretter d’avoir fait l’acquisition d’un Nouveau Testament dans la version Segond 21, craignant qu’il ne contienne des erreurs…
Et puis, vous vous dites que deux vérifi cations valent mieux qu’une, et vous constatez que la citation reproduit en fait deux textes (Malachie 3:1 et Esaïe 40:3), écrits par deux prophètes différents.
Alors, qui a raison?
Nous nous trouvons ici dans un cas typique de variante entre les manuscrits. La majorité des versions françaises choisissent de privilégier le texte proposé par le codex Sinaïticus et le codex Vaticanus, deux manuscrits grecs du 4e siècle (apr. J.-C. bien sûr), et traduisent «le prophète Esaïe». Quant à la version Segond 21, elle intègre les leçons des manuscrits dits majoritaires lorsque celles-ci sont jugées intéressantes. En l’occurrence, deux codices des 4e et 5e siècles, de même que l’ensemble des manuscrits dits byzantins (plus tardifs), portent un texte qui doit être traduit «les prophètes» et qui est plus juste du point de vue du sens.
Garder «le prophète Esaïe», c’est privilégier le texte le plus ancien, porté par les manuscrits que plusieurs présentent depuis leur découverte au 19e siècle comme «les meilleurs», et le plus difficile (puisqu’il est faux du point de vue du contenu). Pourquoi? Parce qu’on estime qu’un copiste aura plutôt eu tendance à corriger le texte de façon à ce qu’il soit juste qu’à l’altérer dans le mauvais sens. Cependant, des arguments allant dans le sens contraire peuvent être avancés:
- La leçon «les prophètes» est, elle aussi, ancienne.
- Chacun des autres Evangiles cite Esaïe 40:3 pour présenter le ministère de Jean-Baptiste, en précisant bien quel est l’auteur de cette prophétie (voir Matthieu 3:3 ; Luc 3:4 ; Jean 1:23 ). Il est donc permis de supposer que la leçon «le prophète Esaïe» a été introduite sous l’influence de ces passages parallèles. Les philologues n’hésitent pas, du reste, à faire ce genre de supposition lorsque ce sont les manuscrits majoritaires qui, contrairement au codex Sinaïticus et au codex Vaticanus, portent un texte identique dans des passages parallèles (le cas se présente, par exemple, dans Matthieu 19:17 ). Pourquoi ne le font-ils pas ici?
La discussion pourrait durer des heures, avec un échange d’arguments et de contre-arguments, mais ce qu’il faut savoir, c’est d’une part qu’aucune des variantes entre les manuscrits du Nouveau Testament ne permet de remettre en cause une quelconque doctrine chrétienne, d’autre part qu’aucune traduction proposée par la Segond 21 ne correspond à un désir de modifier le texte original: dans chacun des cas où une différence apparaît avec une autre version française, elle s’explique par le choix de manuscrits différents.
Viviane André