Univers de la Bible

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Un entretien avec Sylvain Jean Gabriel Sanchez

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1 – Qu’est-ce qui a suscité votre intérêt pour l’histoire et l’archéologie?

Cela va vous paraître un peu bizarre, peut-être, mais je suis venu à ces disciplines à cause de ma passion d’adolescent pour l’architecture. Depuis l’âge de onze ans, je voulais être architecte. J’ai donc passé un baccalauréat scientifique dans ce sens. Puis la confrontation avec des étudiants et des professeurs du milieu m’a convaincu que l’idée que je me faisais du métier n’était pas conforme à la réalité moderne: cette profession avait totalement changé avec la modernisation des supports techniques liée à l’informatique (dessin assisté par ordinateur, conception assistée par ordinateur ). En fait, ce qui m’intéressait dans ce métier, c’était surtout le contact avec l’histoire de l’art et le goût du dessin: mon objectif était alors de devenir spécialiste dans la rénovation des bâtiments anciens.

Alors j’ai bifurqué et, sur le conseil de mon professeur de philosophie, j’ai entamé un cursus littéraire (philosophie, Lettres, géographie) qui m’a finalement conduit plus tard à l’histoire ancienne et à l’archéologie. Avec cette dernière discipline, je retrouvais un peu ce goût pour le dessin et les plans à l’échelle (cf. mon étude dans « Le Culte chrétien dans les maisons privées durant les premiers temps de l’Eglise », Revista Agustiniana, 123, 40, 1999, pp. 1009-1062). Mon séjour à Jérusalem, en 1994-1995, m’a permis d’approfondir ce lien entre histoire et archéologie par l’entremise des études bibliques. Maintenant, je me permets de répondre à cette question qui était sous-jacente à votre interrogation: pourquoi l’histoire ancienne?

La réponse a un lien avec ma foi. J’ai reçu une éducation protestante et ai grandi dans les milieux évangéliques. La Bible et la vie de l’Eglise avaient une grande place au sein de notre famille. J’ai vécu auprès de gens qui ont authentiquement rencontré le Seigneur. Je me suis moi-même converti à l’âge de douze ans. En entamant mes études universitaires, j’ai souhaité approfondir de façon scientifique le contexte historique de la Bible: j’avais le choix entre l’assyriologie (étude de langues mortes comme l’akkadien, l’ougaritique, le sumérien) pour comprendre les événements de l’Ancien Testament, ou bien le christianisme ancien (étude approfondie du grec, latin, hébreu, araméen) pour cerner le contexte néotestamentaire. Les opportunités de la Sorbonne (le conseil de professeurs) m’ont dirigé sur l’étude des Pères de l’Eglise (la patristique) et l’histoire du christianisme des premiers siècles.

2 – Est-ce que ces études ont eu un impact sur votre foi (pour la fortifier ou la remettre en question)?

Bien sûr. Cet impact a été positif et négatif. Tout d’abord, il m’a permis d’approfondir les relations entre croyance et science, religion et philosophie, conviction et culture… On pourrait ainsi décliner le problème sous différentes appellations; il s’agit, en clair, du dilemme entre raison et foi. Dans mon milieu évangélique, les réponses étaient pauvres; on me recommandait de ne pas trop étudier de peur de perdre la foi. J’ai trouvé des réponses dans mes lectures personnelles: les livres de Ralph Shallis et de Francis August Schaeffer m’ont beaucoup aidé pour concilier en moi la foi du charbonnier et la science biblique. La synthèse de cette recherche a pu produire un livre d’érudition (Justin martyr, apologiste chrétien, Paris, Gabalda, coll. des Cahiers de la Revue Biblique, n. 50, 2000, 300 p.).

D’autre part, pendant ma vie estudiantine, j’ai aussi connu des moments difficiles où la foi, inquiète, tanguait comme un frêle esquif sur la mer de la raison qui se déchaînait. Heureusement, la rencontre de personnes éclairées a soutenu ma foi en Christ. Je me rappellerai toujours les cours particuliers (en hébreu ancien) que me donnait Jules Marcel Nicole, au soir de sa vie, à Nogent, dans sa salle à manger, entre 1992 et 1994. Nos discussions m’ont marqué au fer rouge. A l’occasion de ses vœux pour la nouvelle année en 1995, il m’a envoyé une carte alors que j’effectuais mon séjour en Israël: «Ce qui m’a toujours permis de ne pas être ébranlé par les théories de la critique biblique négative, c’est le fait que Jésus a toujours affirmé l’inspiration et l’authenticité de l’Ancien Testament. Or, comme il était Dieu lui-même devenu homme, il en savait infiniment plus sur la question que tous les spécialistes réunis! Leurs théories sont donc a priori sujettes à caution, même lorsqu’elles semblent plausibles.»

Une autre personne de confiance, Marcel Sigrist, grand assyriologue, m’a beaucoup apporté par sa sympathie et ses compétences. Lors de son discours inaugural à l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem pour l’année académique 1994-95, il nous introduisit ainsi dans le champ des études bibliques: «Ce Texte [la Bible], malgré toutes les grilles d’interprétation, est né, par la foi en Dieu, des écrivains sacrés. On ne saisira pas toute la portée du texte si l’on manque à cet aspect: ce texte est inspiré. Il y a quelque chose dans ce texte qui n’est pas dans les autres. Cette dimension est à découvrir dans la méditation et la prière. Gâcher cet aspect, c’est méconnaître la Bible.» M.-J. Lagrange (le fondateur de l’Ecole à la fin du siècle dernier) écrivit lui-même: «Il nous est impossible d’établir une cloison étanche entre les recherches scientifiques et notre foi.» L’étude des sciences religieuses est indissociable de la sympathie que nous avons pour notre objet d’étude. Seulement, il faut avoir suffisamment de recul critique pour garder la rigueur scientifique dans nos travaux. L’intérêt personnel est sous-jacent, un peu comme la partie immergée d’un iceberg, n’est-ce pas?

3 – Comment envisagez-vous le rapport entre la Bible et l’archéologie?

J’ai abordé ce problème dans un article destiné au grand public (« Histoire et archéologie bibliques », Revue Réformée, 209, 2000/4, t. 51, pp. 35-50). En substance, la Bible, comme source historique, apporte des données testimoniales au moulin de l’archéologie. En effet, les informations contenues dans les textes saints sont autant d’indices pour identifier tel vestige ou authentifier tel texte païen contemporain des événements de la Bible.
Maintenant, l’inverse est vrai aussi: les découvertes archéologiques attestent et authentifient tel récit biblique qui était discrédité jusqu’à présent par l’intelligentsia. On le voit, Bible et archéologie sont complémentaires. J’attire votre attention sur le fait que la Bible est ici abordée comme document historique et non pas comme Livre inspiré par Dieu.

4 – Pouvez-vous citer des découvertes qui ont confirmé la fiabilité de la Bible?

L’exemple de l’inscription du tunnel d’Ezéchias est archétypal: le canal fut exploré pour la première fois par un voyageur américain, Robinson, en 1838, mais l’inscription ne fut découverte fortuitement qu’en 1880 par un jeune homme qui se baignait à la piscine de Siloé. Elle était située primitivement sur la paroi orientale de l’aqueduc à environ six mètres de l’entrée à partir du réservoir de Siloé. Cette inscription raconte l’histoire de la percée du tunnel et particulièrement la fin du forage. Bizarrement, on ne trouve aucune date ni titulature royale. Les savants se perdent en conjectures mais ils s’accordent pour penser qu’aucune partie de l’inscription ne manque: le texte ne rapporte pas l’histoire de l’exécution de tout l’ouvrage mais seulement de la fin. Il est vraisemblable que l’auteur de l’inscription soit l’ingénieur qui a conçu cet ouvrage car, dans le texte, il n’est question que de la réussite technique de la percée dont l’exécution a dû prendre une année de travail au maximum. On comprend dès lors qu’il se soit fait un point d’honneur de laisser aux générations futures le témoignage de son exploit. C’est la Bible qui peut nous permettre de dater cet événement de façon historique par trois occurrences bibliques et une référence à un livre apocryphe: «Le reste des actes d’Ezéchias, tous ses exploits, la manière dont il a fait le réservoir et l’aqueduc pour amener l’eau dans la ville, cela est décrit dans le livre des annales des rois de Juda» (2 Rois 20.20). «Ce fut aussi lui, Ezéchias, qui boucha l'issue supérieure des eaux de Guihon pour les diriger plus bas vers l’ouest de la ville de David» (2 Chroniques 32.30). «Vous constatez les nombreuses brèches faites aux remparts de la ville de David et vous emmagasinez l’eau dans le réservoir inférieur. Vous comptez les maisons de Jérusalem et vous en démolissez pour fortifier la muraille. Vous construisez un bassin entre les deux murailles pour l'eau de l’ancien réservoir» (Esaïe 22.9-11). «Ezéchias fortifia sa ville et fit venir l’eau dans ses murs, avec le fer il fora le rocher et construisit des citernes» (Siracide 48.17). Par les références bibliques, nous savons que ce grand tunnel d’une cinquantaine de mètres de long est l’œuvre d’Ezéchias (vers la fin du 8e siècle avant notre ère) qui craignait une attaque assyrienne.

Par ailleurs, la découverte d’octobre 2002 concernant l’ossuaire de saint Jacques pourrait relever du même acabit, mais attendons le verdict final des historiens; comme on dit: wait and see…
Ensuite, il faut apprécier aussi le tribut de la Bible à l’archéologie: la stèle de Mesha découverte en 1868 relate les hauts faits d’un roi de Moab connu dans la Bible. Originaire de Dibôn, Mesha a repris les villages annexés par Omri et il s’empara aussi d’Atarôt, peuplée depuis longtemps par des Gadites (cf. Nombres 32.34-36). Ce roi de Moab s’honore d’avoir massacré des populations, pillé des temples «yahvistes», procédé à des transferts de population, rétabli la prospérité du pays… Il y aurait même une allusion à la campagne sudiste des trois rois coalisés contre Moab (cf. 2 Rois 3). Cette interprétation tendrait à prouver que la stèle n’a été érigée qu’après cette campagne et même après la chute de la dynastie omride («Israël a péri pour toujours» l.7) et le coup d’Etat de Jéhu en 841. L’intérêt historique et religieux de ce texte est capital parce qu’il éclaire un épisode biblique (celui des livres des Rois) en apportant le témoignage des adversaires d’Israël.

Les fouilles à Tell Mardikh à partir des années soixante ont permis d’authentifier le site d’Ebla et ces découvertes ont enrichi la recherche vétérotestamentaire. Ces archives royales confirment l’existence des villes de Sodome et Gomorrhe, ce dont on doutait lorsque la Bible était la seule référence en la matière.

On a longtemps considéré les références aux Hittites comme une invention des auteurs récents de la Torah; on a nié de même l’historicité des Hurrites et de Sargon II (722-705 av. J.-C.) parce qu’on n’en avait trouvé aucune mention en dehors de la Bible. On ne pensait pas que le roi Belschatsar eût pu réellement exister, puisque aucun auteur grec ne l’avait mentionné; le récit biblique était donc présumé inexact. Les fouilles archéologiques ont permis la découverte de nombreux documents attestant l’existence des Hittites (ou Héthiens, fils de Heth), des Hurrites (ou Horiens ou Horites ou Hourrites) et de Belschatsar sur des tablettes cunéiformes. La science archéologique a souvent fait sortir de l’impasse les controverses entre historiens rationalistes et chrétiens conservateurs apologistes de la Bible.

5 – Existe-t-il des affirmations bibliques que l’archéologie n’a pas confirmées ou semble même infirmer? Quelle est votre réaction?

On pourrait citer le mystère du déluge (universel ou local?), le séjour du peuple hébreu au désert pendant quarante ans (la survie d’un tel peuple relève du miracle!), la prise de Jéricho par Josué dont on ne retrouve aucune trace sur le site archéologique, etc.

Dans ce cas, la science archéologique et la foi en la Bible comme parole divine proposent deux visions contradictoires. Pourtant, la foi chrétienne ne se conçoit pas sans pensée; la raison n’est qu’instrument, et non source de connaissance. Il n’existe pas de Muraille de Chine qui se dresserait entre la foi confessée et la raison en activité. La foi n’entraîne pas l’abdication de la pensée, ni la pensée l’abdication de la foi. La foi devance toujours la raison, non pas dans le sens où la foi surpasserait la raison. Devancer veut dire, ici et maintenant, précéder dans le temps: la foi est antérieure à la raison. La foi n’est pas un simple assentiment à une série de dogmes, elle est plutôt une fonction spirituelle par laquelle l’Esprit crée et développe chez le croyant la capacité de connaître Dieu.

La foi n’est pas aveugle, elle voit très clair. Dieu ne demande pas à l’homme de croire contre toute évidence, comme font les credo humains; il lui donne à chaque pas juste assez de lumière pour que celui-ci soit certain de la vérité. Il n’y a rien d’illogique. La Bible est fiable, l’archéologie finira par reconnaître ce qui est inscrit dans les écrits scripturaires, ce qu’elle ne comprend pas à l’heure actuelle.

Cependant, il faut se garder aussi de prendre la Bible pour un livre de science. C’est, avant tout, un ensemble de livres inspirés pour susciter et fortifier par l’Esprit la foi des croyants: Dieu parle aux hommes. La Révélation spéciale (la Bible) étant située dans un temps, un lieu et un milieu, elle apporte, à l’occasion, des données historiques sur tel contexte, tel peuple, mais telle n’est pas sa vocation d’être un livre d’histoire ou un manuel d’archéologie.

6 – Que répondez-vous si l’on vous dit que l’archéologie est une science subjective car elle dépend des interprétations des archéologues?

L’archéologie fait partie du long cortège des sciences humaines, au même titre que l’histoire, la géographie, la philosophie, la sociologie, l’ethnologie… Il est clair que ce n’est pas une science exacte (comme les mathématiques) ou une science expérimentale (physique, chimie, biologie). L’objet des sciences humaines est l’étude de l’humain; or nous sommes des homines sapientes sapientes: le sujet est donc son propre objet. Ce qui implique forcément une part plus ou moins grande de subjectivité. C’est pourquoi, un esprit critique et un recul sur les choses sont des conditions nécessaires pour évaluer et apprécier au mieux l’objet d’étude.

L’archéologie analyse toutes les manifestations techniques de l’homme, c’est-à-dire le fait qu’il s’agit d’un produit de la technique (au sens très large de tout ce qui procède de la mise en œuvre d’un outillage, la cuisine aussi bien que la musique instrumentale, la monnaie autant que la statue, les édifices ou les manuscrits…). Le fait que le grand public est au courant de la polémique scientifique touchant les diverses interprétations d’une découverte n’est pas une faute imputable aux archéologues mais aux médias, qui diffusent une information avant d’être sûrs de sa teneur et de sa validité. Les journalistes sont trop rapides. Or la science se forme lentement, après beaucoup de tâtonnements. Bachelard a écrit très justement: «La connaissance n’est qu’une suite d’erreurs rectifiées.» Nous souscrivons pleinement à cet aphorisme. Il en va de même en archéologie, comme dans toutes les autres sciences humaines. Un manuel d’histoire apparaît après de longues années de tergiversations de la part des spécialistes sur tel point d’histoire, mais le grand public n’en a pas connaissance; on lui présente le produit fini, c’est tout! Les journalistes ne sont pas derrière pour éventer telle nouveauté philologique ou archivistique: ça n’intéresse personne, à part les spécialistes. Il n’en va pas de même pour l’archéologie. Aujourd’hui, tout le monde se pique d’archéologie. On veut tout savoir tout de suite. Si on attendait un peu les résultats définitifs des chercheurs, on se rendrait compte que l’archéologie ne dépend pas plus des interprétations des chercheurs que d’autres disciplines des sciences humaines. Il n’y a pas plus de subjectivité dans cette science que dans une autre.

Enfin, j’ajouterai une chose. L’écueil entre une vulgarisation intelligente et l’érudition du spécialiste confrontée aux racines de l’épistémologie est un défi pour le chercheur (cf. notre article «Épistémologie ou vulgarisation: un dilemme?:» Revista Agustiniana, 130, 43, 2002, en cours d’impression). Quelque part, chaque spécialiste participe, par ses travaux, à une meilleure connaissance d’une période. Il est aux prises avec les bases de la connaissance qu’il participe à édifier par sa modeste contribution au champ du savoir. C’est sur la base de ces multiples travaux qu’un groupe de professeurs établit ensuite un manuel d’histoire pour les étudiants petits et grands.

L’amateur éclairé prend trop souvent comme ferme et assuré le fruit d'un travail de recherche qui ne débouche que sur des résultats qui sont autant d'hypothèses. On ne peut prendre des hypothèses pour des vérités assurées. C’est trop dangereux. Ainsi j’ai vu, pendant mon séjour en Israël, des néophytes piqués de critique biblique moderne considérer la théorie des sources et les différentes couches du Pentateuque comme des vérités indubitables parce que ces idées avaient un siècle d’existence depuis Wellhausen. La prétendue longévité d’une hypothèse ne prouve pas sa fiabilité, d’autant plus qu'en regardant de près, le modèle scientifique de Graf-Wellhausen a été maintes fois modifié par la critique ultérieure même si la trame générale demeurait dans son ensemble. Aujourd'hui, on revient sur ces théories positivistes en favorisant le texte dans sa composition d'ensemble, en y voyant une seule unité plutôt qu'un morceau composite. Il est naïf de considérer la critique biblique comme un gage de connaissance absolue. De même, il est bien peu critique de considérer l’archéologie comme une science indubitable, ferme et assurée. Comme toute science, elle n’est pas parfaite, mais perfectible, elle n’est pas absolue mais relative et évolutive.

Paris, le 08 janvier 2003